Parfois, 'y a pas à dire, ça faisait du bien de se lever à l'heure qu'on voulait , en sachant que la journée qui s'annonçait ne serait pas chargée de cours et de devoirs tous plus fatigants les uns que les autres. Un dimanche tranquille était donc le bienvenu! Aucun cours à l'horizon, des devoirs achevés la veille en retenue (ma dix-septième depuis la rentrée, un nouveau record !) et une petite sortie à Pré-au-Lard annoncée au tableau d'affichage! Que demander de mieux, si ce n'était apprendre que Servilus s'était fait engloutir par le calamar géant? Je m'étirai longuement avant de bondir de mon lit et commencer à m'habiller. Au programme: une journée de rigolade à Pré-au-Lard. Pour cela, je n'aurais besoin que de ma baguette, la Carte du Maraudeur ne me serait d'aucune utilité hors du château. En fouillant dans ma valise, je réalisai avec horreur qu'il ne me restait plus une boîte de dragée surprise de Bertie Crochue. Satané Queudver ! J’étais prêt à parier 1000 Galions qu’il avait pris soin de tout manger pour moi. Ce rat était décidément bien vorace ! Petit rappel personnel: ne pas oublier de faire un tour chez Honeydukes! Je descendis dans la salle commune, retrouver James, Remus et Peter qui m'attendaient. Ensemble, nous descendîmes dans la Grande Salle prendre notre petit déjeuner, enfin, vue l'heure, il s'agissait plutôt d'un brunch.

Une fois arrivés, nous nous dirigeâmes vers notre table, en passant à côté d'un petit groupe de Serpentards. Et quelle bande, me direz-vous! Cet idiot d'Avery, accompagné de Nott son fidèle molosse, Mulciber, Wilkes et ... mon frère. Je leur jetai à tous un regard écœuré, sauf au petit dernier qui ne méritait même pas mon attention. Au passage, je donnai un grand coup d'épaule à Avery dans le but de provoquer une altercation.
« Dégage de mon chemin, Black! »
Parfait! Il s'arrêta et me fit face. Derrière lui, sa petite bande se préparait à la bagarre. Ce qui était génial chez les Serpentards, c'est qu'ils pouvaient très vite se mettre en rogne et c'était exactement ce que j'attendais d'eux! Malheureusement pour eux et surtout malheureusement pour lui, il n'existait pas plus impulsif qu'un Gryffondor!

«Avery, tu seras gentil de m'épargner la vision monstrueuse de ton visage, si je veux avoir peur, je me contenterai de regarder mon manuel de Défense Contre les Forces du Mal, page sur les Inféris, merci bien ! Mais si tu veux, je peux te refaire le portrait, ça ne peut pas être pire que ça ne l'est déjà!»
Des ricanements s'élevèrent derrière moi. Mon attention, en revanche, était braquée sur le Serpentard qui se tenait devant moi, attendant de voir s'il était assez idiot pour m'attaquer dans la Grande Salle. Il s'avança davantage, l’air menaçant. Son visage n’était plus qu'à quelques centimètres du mien, mais je restai planté, refusant catégoriquement de reculer d'un pas.

« Tu ferais mieux de faire gaffe à qui tu parles Black ! »
J’eus un rictus méprisant.

« Voyez-vous ça ! Me voilà terrifié ! »
Je m’esclaffai de rire tout en sachant que ça ne ferait que l’énerver davantage. Comme je m’y attendais, il sortit sa baguette à la vitesse de l’éclair, mais j’étais déjà paré.

« Tiens, tu es peut-être un homme, finalement ! »

Sur ces mots, je levai ma baguette, prêt à le foudroyer sur place, mais une voix sèche retentit derrière moi:
« Black, Avery ! Je peux savoir ce que vous êtes en train de faire? »

Je fis volte-face. Le professeur McGonagall se tenait droit devant moi, ses yeux lançaient des éclairs à travers ses lunettes carrées. Je pouvais dire adieu à mon petit combat avec ce crétin de Serpentard. Tant pis, ce serait pour une prochaine fois ! Baissant ma baguette, je pris un faux air innocent qui, à mon avis, ne devait pas être très convaincant, vu le visage impassible du professeur. Je lançai alors d’un ton joyeux :

« Bonjour professeur ! On ne faisait rien de mal, Avery essayait de me montrer ce qu’il a vraiment dans le ventre ! »
Le professeur me fixa d’un air sévère. A l’évidence, elle n’était pas d’humeur à plaisanter et devait savoir que nous étions sur le point de nous battre en plein milieu de la Grande Salle. Elle leva alors un sourcil, toujours sans le moindre sourire.

« Vous en êtes déjà à votre dix-septième retenue en à peine un mois, Black. A votre place, je ferais profil bas, à moins que vous ne préfériez passer une heure supplémentaire en détention plutôt que de vous promener à Pré-au-Lard ? Maintenant retournez à votre table ! »
Toujours sur le ton léger de la plaisanterie, qui ne m’aiderait pas beaucoup ce coup-ci, je répondis:

« Je crois que je vais suivre votre conseil professeur ! »
Je me tournai vers Avery pour lui lancer un regard mauvais avant de me diriger vers la table des Gryffondors. En passant, je lançai dans un imperceptible murmure :

« Tu t’en tires bien cette fois. Heureusement que McGonagall est là pour te secourir. »

« C'est ça, fais le malin, Black, profites-en tant que tu le peux! »
En entendant sa menace à trois noises, je lançai à nouveau un grand rire moqueur, destiné à le faire sortir de ses gonds. Je le vis serrer le poing, mais je savais qu’il ne ferait rien devant un professeur. En fait, le voir enrager sans qu’il ne puisse m’attaquer était encore plus drôle que si je l’avais affronté ! Mes amis et moi nous assîmes à notre table en riant de plus belle.

Le reste du repas fut étonnamment calme, seulement animé de nos éclats de rires quand nous évoquions pour la énième fois l’incident. Quand j’eus fini de manger, je me levai, ramassai mes affaires et me dirigeai vers la sortie du château. Les autres Maraudeurs ne viendraient pas à Pré-au-Lard avec moi. Je fis un signe de la main à la bande, accompagné d’un « à tout à l’heure » avant de franchir les portes qui menaient à l’extérieur. Rusard contrôlait les autorisations de sortie des troisième année. Les mains sans les poches, je passais tranquillement sans leur prêter la moindre attention. Une brise fraiche parcourut le chemin qui menait au village, mais le temps était plutôt agréable, malgré un ciel grisâtre

Ça y est, j’étais arrivé à l’entrée du village. Les élèves se pressaient en masse d’une boutique à l’autre dans le brouhaha causé par toutes les conversations. Pour ma part, je n’étais pas pressé. Je passai devant les Trois Balais. Avec James, nous avions souvent l’habitude d’y aller, ne serait-ce que pour voir cette chère Mme Rosmerta. Peut-être y ferais-je un tour pour la saluer, mais pour l’heure, je devais me réapprovisionner en sucreries. Et cette fois, pas question de les laisser à la portée de Peter ! Je poussai la porte de Honeydukes et le tintement habituel d’un carillon sonna à mon oreille. Le magasin était bondé, à croire que tous les élèves de Poudlard se gavaient de bonbons du matin au soir ! Je réussis tout de même à me frayer un passage pour atteindre l’étagère qui m’intéressait. Et puis, tant qu’à y être, je piochais hâtivement dans les autres paniers, sans vraiment regarder leur contenu. Ce n’était qu’une fois arrivé à la caisse, que je réalisai ce que j’avais pris : Fizwizbiz, Bulles baveuses, Gommes de limasses, Chocogrenouilles, Nids de Cafards et Suçacides. En tout, je déboursai 7 mornilles et 15 noises. En sortant de la boutique, je m’attardai sur le seuil en me demandant vaguement comment je pourrais dissimuler les Nids de Cafards dans un paquet de Dragées Surprise et faire en sorte de les laisser traîner à l’intention de Peter. Mais ma songerie fut brusquement interrompue quand je reçus la porte en pleine poire. Je reculai en vacillant légèrement sous le choc mais je parvins à rester debout. Clignant des yeux, je regardai d’un hébété la jeune fille qui m’avait envoyé la porte à la figure. Elle se tenait là, droite comme un « i », le teint écarlate et un sourire crispé sur le visage, tout en bafouillant avec un étrange accent :

« Escuseu me »

Je restai quelques secondes abasourdi. Soudain, sans prévenir, j’éclatai de rire. En y réfléchissant, il n’y avait vraiment pas de quoi, mais je trouvai alors la situation hilarante. La jeune fille en revanche, semblait extrêmement gênée. Mort de rire face à cet incident, je pouvais donner l’impression de me moquer d’elle. A cette pensée, mon rire mourut dans ma gorge et je repris mon sérieux. La jeune fille, sans doute d’une année plus jeune que moi, continuait de me fixer du regard. Une voix s’éleva du fond du magasin, lui ordonnant de fermer la porte qui était restée ouverte et la jeune fille s’exécuta. Je remarquai son écharpe et son bonnet, étrange accoutrement pour un jour d’octobre. Mais après réflexion, elle n’avait pas vraiment l’air de venir du coin, ce qui expliquait son accent.

« Ne t’en fais pas, il n’y a vraiment pas de mal ! Ce serait plutôt à moi de m’excuser.»

Je tentais une approche plus rassurante, car la pauvre semblait vraiment décontenancée !

En réalité, si je n'avais pas traîné devant le pallier de la porte, plongé dans mes pensées, je ne me la serais sûrement pas mangée dans la figure. C’était autant ma faute que la sienne et j’avais comme l’impression que je devais m’en excuser. Après tout, c’est ainsi que j’avais été éduqué. Ce n’était pas parce que je me montrais hautain et prétentieux que je devais dénigrer les autres et les traiter comme des inférieurs. Mais ça c’était une leçon que j’avais acquis seul, parce qu’on m’avait justement appris à mépriser autrui plutôt que de les respecter. « Respecter les autres c’est leur donner du pouvoir sur soi et se faire dominer. C’est en rabaissant qu’on se fait respecter. Ne respecte que tes semblables ! », ou quelque chose dans ce goût-là. Mais passons. C’est que je suis sociable, moi. Je tenais donc à agir en gentleman, question de principe. Devant mes excuses, elle ouvrit ses grands yeux bleus sous le coup de l'étonnement, puis me demanda avec malice:

« Pourquoi ? Pour avoir de si grands pieds ? »
Je ne savais pas si elle parlait sérieusement ou non, mais sa réponse provoqua chez moi un nouvel éclat de rire inexplicable. Décidemment, cette fille était de plus en plus étrange. Elle sembla cependant regretter cette réponse et ajouta :

« Excuse-moi… Depuis notre rencontre, je me suis montrée gauche… Je me présente : Emma Ells de Serpentard. Et toi, tu es ? »

Je restais étrangement bloqué sur ses derniers mots. Serpentard? Là je devais bien admettre que c'était inattendu. Il était bien connu que les autres Maraudeurs et moi-même avions une sainte horreur de ces verts et argents. Sans chercher trop loin, ils étaient pratiquement tous de Sang-pur (et quels Sang-pur!) et pratiquaient la magie noire. Il n'y avait qu'à voir ma famille qui en était un parfait exemple! Et puis il avait cette vieille légende qui disait que Salazar Serpentard avait en secret bâti une Chambre gardant une dangereuse créature qui, une fois lâchée en liberté, s'attaquait aux élèves "indignes d'apprendre la magie", soient les Nés-Moldus. Sérieusement, j'étais le seul à être choqué qu'un des fondateurs de Poudlard ait planifié de tuer ses élèves? Je restais donc quelque peu perplexe devant cette révélation. Devais-je lui laisser le bénéfice du doute ou laisser mes vieux préjugés l'emporter? Mon instinct me poussa à laisser de côté l'information "Serpentard" et à faire comme si de rien n'était. Après tout elle avait été jusque-là très sympathique, quoiqu'un peu bizarre. Avec un sourire amical, je me présentai à mon tour:

« Moi c'est Sirius Black, de Gryffondor. Mais appelle-moi simplement Sirius. »

Il était considéré comme étant familier d’appeler un élève par son prénom quand on n’en était pas particulièrement proche et beaucoup trouvaient plus correct, plus formel, d’être appelé par un nom de famille. C’était un de ces codes de conduite dont je me fichais éperdument. Au contraire, je préférais de loin être connu de mon seul prénom. Une idée me traversa alors l’esprit. Si elle était à Serpentard, elle avait sûrement déjà entendu parler des Black. Mes cousines Bellatrix et Narcissa y avaient fait leurs études et avaient, paraît-il, eu une certaine réputation. Rien de très glorieux d’après ce que j’avais entendu dire, mais j’en avais subi les conséquences à mon arrivée à Poudlard. Mon nom n’avait échappé à personne, que ce soit aux élèves de sang-pur qui connaissaient la réputation de ma famille ou aux autres, les victimes des sales tours que mes cousines leur avaient joués. Je n’aimais pas du tout que l’on nous compare et j’avais alors dû combattre les jugements et m’affirmer pour prouver que je n’avais rien à voir avec elles. A présent, on m’associait d’avantage aux Maraudeurs, ce dont j’étais très fier. Mais voilà que mon frère, cet idiot, avait lui aussi rejoint leurs rangs, brisant mes efforts pour donner ne serait-ce qu’un peu de dignité à notre nom.
La jeune fille - ou plutôt devrais-je dire Emma - semblait légèrement plus jeune que moi. Pitié Merlin, faites qu’elle ne soit pas en quatrième année avec lui et surtout qu’elle ne soit pas son amie. Elle m’avait jusque-là fait bonne impression mais je n’étais pas sûr de pouvoir m’entendre avec une amie de Regulus…

Avec un petit raclement de gorge gêné, je pris à nouveau la parole :

« Tu as sûrement déjà entendu parler de ma famille non ? »
En fin de compte, je ne tenais pas vraiment à connaitre la réponse ! J’ajoutai alors, sans lui laisser le temps de répondre :

« Quoi que tu connaisses à leur sujet, oublie-le ! Sache que je n’ai aucun point commun avec eux si ce n’est le sang, et encore je n’en suis pas fier… »
J’étais sur le ton de la défensive, comme si mon appartenance à cette famille était une grave faute à laquelle j’étais mêlé contre mon gré. C’était un sujet que j’abordais rarement, encore moins avec des inconnus, mais je préférais mettre les choses au clair tout de suite, qu’elle ne s’imagine pas que j’étais un de ces crétins imbus d’eux-mêmes qui ne jugeaient que par la prétendue pureté de leur sang.